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Mais, comme je ne serais peut-être pas toujours aussi heureux, je m’en tiendrai là. Chacun son métier, les brebis seront bien gardées du loup, comme disait le pauvre défunt Lajarthe qui avait bien quelquefois des idées un peu farouches que je ne partageais pas, mais qui, au demeurant, était un brave homme.

À propos de ce pauvre ami, je me souviens qu’un jour d’élection, devant chez Maréchou, il disait que tout le mal existant sur la terre provenait d’un manque d’équilibre. Il y avait des pays trop froids, d’autres trop chauds ; des terres trop légères, d’autres trop fortes ; des étés trop secs, d’autres trop mouillés ; des hommes trop forts, d’autres trop faibles ; des gens trop habiles, d’autres trop innocents ; des citoyens trop riches, d’autres trop pauvres ; et ainsi de suite. Et il ajoutait que s’il avait été là, lorsque le bon Dieu fit le monde, il lui aurait donné quelques bons conseils.

Tout le monde riait, et moi comme les autres. Mais depuis, songeant à ça quelquefois, je me disais qu’il pourrait bien avoir quelque peu raison. Les villes se sont gonflées outre mesure aux dépens des campagnes qui se sont dépeuplées. Sans doute il y a bien d’autres causes, mais je crois qu’une des raisons du malaise dont on se plaint vient de là. La population ouvrière rurale s’étant jetée dans les villes, y a amené le chômage ; et le manque de bras dans les campagnes y a fait négliger la terre : ce qu’il y a de trop d’un côté manque de l’autre. Il faudrait, selon moi, remédier à ça, et par tous les moyens possibles favoriser le retour à la terre de tous ces pauvres gens qui l’ont abandonnée dans un temps de crise, las de travailler beaucoup pour les autres, et de crever la faim. Maintenant que le moment le plus dur est passé, en revenant dans leur endroit, ils pourraient encore vivre heureux en contribuant à la prospérité du pays ;