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Pourtant, il en est qui nous haïssent, de ce que nous n’avons pas leurs idées ; d’autres qui sont nos ennemis, parce que nous ne sommes pas de leur opinion. Les uns et les autres nous ont fait tout le mal qu’ils ont pu, et moi je me suis défendu et les miens, quelquefois en les goguenardant fort, et d’autres fois plus sérieusement, de manière qu’il a dû leur en cuire : qu’ils me pardonnent comme je leur ai pardonné. L’égoïsme m’indigne, la méchanceté m’exaspère, l’injustice me révolte, la misère me saigne le cœur ; mais si j’ai eu quelquefois des paroles de colère ou d’amertume, je n’ai point de haine pour les personnes, ni en général, ni en particulier depuis que le fameux Lacaud est mort.

Pour en revenir, il y en a qui ne sont pas contents encore des progrès réalisés, ce sont les jeunes gens qui ne peuvent prendre loin leurs points de comparaison, de manière qu’il leur semble qu’on n’a rien fait ; c’est à eux maintenant de pousser en avant. Mais pour moi, quand je regarde vers le passé, quelle différence avec le temps d’aujourd’hui !

Je suis né dans les dernières années de la Restauration, vers le temps des Missions, et j’ai vu l’époque de ce Polignac qui voulait faire marcher la France, comme d’autres se sont vantés de le faire depuis ; mais ils ont été bien mouchés tous. J’étais tout petit alors et je ne savais pas tant seulement ce que c’était que ce Polignac dont on avait tant parlé ; mais je me souviens qu’après la Révolution de 1830, étant dans la voiture de Périgueux, sur les genoux de ma mère qui me ramenait de Limoges où travaillait pour lors mon père, le postillon qui conduisait, tapait à grands coups de fouet sur un vieux cheval blanc rétif en criant : Hue ! Polignac ! et ça me faisait rire.

Les Bourbons ont été renversés, Philippe a été chassé, la deuxième République a été égorgée une nuit de décembre, Bonaparte est tombé dans la boue