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garde à seule fin que les autres travaillent tranquilles. Celui de mes enfants qui était le plus mal loti, Yrieix, s’est tiré d’affaire, et maintenant il fait marcher un moulin pour son compte. Je suis content de les voir tous établis comme ça, parce que j’ai toujours estimé qu’il vaut mieux être paysan en sabots chez soi, que monsieur en bottes chez les autres ; qu’il vaut mieux travailler dur pour soi et les siens, que vivre fainéantement aux dépens de quelqu’un ou du public ; et enfin qu’une bonne frotte sous sa tuilée vaut mieux que des poulets rôtis chez autrui. Il y en a qui peuvent trouver ça rude, mais tout est facile à celui qui n’a pas besoin de choses inutiles. Le pauvre chez lui est aussi à son aise que le riche, s’il a peu de besoins. Le bonheur ne consiste pas à avoir de beaux habits, des meubles de prix, de belles maisons, des chevaux de cent louis pièce, un ordinaire de carnaval, un grand train de maison, et autres choses pareilles ; ça n’est que par comparaison que ceux qui envient ces choses aux riches se trouvent malheureux.

Comme disait mon pauvre défunt oncle, trois choses seules sont désirables : la santé, l’indépendance et la paix du cœur.

C’est tellement vrai, ce que je dis, que c’est par comparaison seulement qu’on se trouve à plaindre, qu’en ce moment, n’est-ce pas, personne n’est malheureux de ne pouvoir voler en l’air ; mais qu’on vienne à inventer une machine bien chère, pour ça, et tous ceux qui n’auront pas le moyen d’en avoir une se trouveront grandement à plaindre. Aujourd’hui nous avons un petit chemin de fer le long de notre route, pour aller soit sur Périgueux, soit sur Excideuil. Ça va plus vite que les anciennes diligences, cette affaire-là, mais quand nous allions sur l’impériale, causant avec le défunt La Taupe, nous n’étions pas malheureux de n’avoir pas ce petit chemin de fer