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taille au syndic, il est tranquille. Au lieu de rechercher les emplois, de galoper après les places, depuis celle d’homme d’équipe ou de recors, jusqu’à celle de collecteur ou de préfet, la jeunesse de toute condition devrait se tourner vers la terre. Que de gens ayant un bien, petit ou grand, où ils vivaient tranquilles, s’en vont dans les villes, croyant faire fortune, ou bien attirés par le plaisir, et finissent par s’y ruiner le corps et la bourse ; pour un qui réussit, vingt qui se noient. Et après tout, à quel prix la réussite souvent ? au prix de la santé et de la liberté qui sont les premiers des biens.

Ceux qui regardent les choses à la légère, et ils sont en grand nombre, se figurent que l’état de cultivateur est celui qui demande le moins de savoir et d’intelligence. Ils croient bonnement qu’il faut plus d’esprit pour vendre du poivre, ou des étoffes, ou pour gratter du papier, ou pour fabriquer des bonnets de coton, que pour travailler la terre : c’est justement le contraire qui est vrai. On nous prend pour des imbéciles, nous autres paysans, parce que nous n’avons pas les façons des gens des villes, et que nous ne savons pas un tas de rubriques et de mots à la mode ; mais si on y regardait de près, on verrait que nous ne sommes pas aussi bêtes que nous en avons l’air, et que nous savons plus de choses utiles, que ceux qui se moquent de nous, quelquefois.

Pour moi, l’existence de propriétaire paysan, petit ou grand, est la première de toutes. Je le dis en toute vérité, quand je devrais revenir dix fois au monde, dix fois je voudrais vivre de la même vie. Comme ça ne se peut pas, j’ai du moins toujours engagé mes droles à ne pas abandonner la terre qui est notre bonne mère nourrice, et ils m’ont écouté. Tous sont meuniers et travailleurs de terre, manque Bernard que le hasard a poussé dans l’état militaire, ce que je ne regrette pas ; il faut qu’il y en ait pour monter la