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foires, s’était amourachée de lui et l’avait suivi. Comme c’était une fille de tête, elle avait vendu ses petits bijoux, et ils avaient acheté une voiture et monté une baraque. Ah, c’était une crâne femme, qui faisait marcher tout son monde d’hercules à la baguette ; et c’était elle qui tenait la bourse, et ils avaient cent pistoles de placées chez un notaire, dans son pays là-bas, et ils en auraient davantage, s’il n’avait pas fallu, il y a six mois, retirer cent écus pour acheter un autre cheval, le leur étant crevé à Orléans. Mais tout de même, cette vie ne lui allait pas trop, il aurait mieux aimé bûcher sur une enclume, ou quelque chose comme ça, à Excideuil, ou par là, tranquille avec sa femme…

— Alors, tu es marié ? dit Poncet.

— Derrière la mairie !…

Et ils se mirent à rire tous.

Derrière la mairie ? qu’était cela ? mais je commençais à dormir sur la table, et je n’en entendis pas plus long.

Lorsque mon oncle me réveilla, il y avait plantés devant nous, deux agents de la police de la ville qui disaient bien tranquillement : Allons, Messieurs, il est minuit passé, il faut s’en aller.

— Pas avant d’avoir trinqué ensemble.

— Ha ! té ! c’est vous Poncet.

— Hé oui ! mettez-vous là donc, que nous trinquions, un peu. Bourgeois, deux verres !

Ils n’avaient pas l’air méchant du tout, ces deux sergents de ville. Il y en avait un grand maigre, avec de fortes moustaches, qui poussait de grosses bouffées d’un gros cigare de contrebande, et s’appuyait sur sa canne sans rien dire. L’autre avait la sienne de canne pendue par un cordon à un bouton de sa capote, et il bourrait sa pipe ; c’était un bon gros vivant qui riait toujours. Ils étaient rouges tous les deux pour être entrés déjà dans beaucoup de