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rine, et n’est plus qu’une vieille fille dévote et pas trop facile. Il en est d’autres dont la souvenance me fait plaisir, comme mon adoration d’enfant pour la demoiselle Ponsie.

Je compte pour beaucoup d’avoir vécu chez moi, libre, indépendant, sous le soleil, point riche, mais n’ayant besoin de personne. J’ai travaillé, mais je n’ai jamais eu quelqu’un derrière moi pour me commander. Quand le temps ou les occasions le requéraient, j’ai quelquefois donné de bons coups de collier, mais c’était de ma volonté, personne ne me poussait ; je le faisais par raison, pour les miens et pour moi. De même dans des circonstances, il m’est arrivé de laisser la besogne pour un jour, quitte à rattraper le temps perdu le lendemain : comme ça c’est un plaisir de travailler.

Je me suis marié avec une paysanne sans le sou, mais c’est la meilleure affaire que j’aie faite de ma vie. Ma femme a fait prospérer la maison par l’ordre qu’elle y a apporté, par son travail de bonne ménagère, et elle l’a rendue plaisante en la tenant bien, en l’arrangeant joliment, et surtout par sa bonne grâce et son bon cœur.

Et puis il y a autre chose que je compte pour un grand profit : elle m’a porté huit enfants dont il me reste sept, tous bien fiers, bons droles, vaillants et sachant se retourner. C’est elle-même qui les a tous nourris, élevés, et soignés quand ils avaient la rougeole, la coqueluche ou quelque autre petite maladie, sans jamais trouver que ça fût trop pénible ; toujours contente pourvu que les autres le fussent. Ça n’est pas pour dire, mais je crois qu’il n’y a guère de femme comme ça. Quoique j’aie soixante-deux ans et elle cinquante-huit, je l’aime toujours, et je le lui dis quelquefois. On se moquera de moi si on veut, mais je n’ai point connu d’autre femme dans toute ma vie ; elle est la seule.