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blique étranglée par Bonaparte. Il fut donc élevé dans la pratique des vertus civiques, et dans des idées de liberté, de fière indépendance et de dévouement à la Patrie, qu’il a gardées jusqu’à sa dernière heure.

« Je ne vous retracerai pas la vie de Nogaret, vous la connaissez tous ; j’en rappellerai seulement un épisode dont certains de vous ont été témoins, mais que tous savent par ouï-dire. Un jour de décembre, il y a de cela trente-huit ans, cet honnête homme, ce bon citoyen, fut arraché à sa famille, à sa maison, et mené en prison, les mains enchaînées comme un malfaiteur.

« Quel était son crime ? C’était un ferme républicain, un homme libre, un bon Français, et c’en était assez en ces temps maudits.

« Mais la justice a son heure. Tandis que le criminel de décembre 1851 et de juillet 1870 est en horreur à tout citoyen, à tout patriote ; tandis que sa mémoire est exécrée des mères dont il a fait tuer les fils, et des Français que son crime a arrachés à leur patrie, autour du cercueil d’une de ses obscures victimes se presse une commune entière.

« Il y a là, mes chers citoyens, une leçon pour nous tous. Il est bon de constater que si l’expiation du crime arrive infailliblement, la glorification de ceux qui ont toujours suivi le devoir austère, arrive aussi, au seul moment où elle est légitime et enviable, à l’heure de la mort !

« Et il ne faut pas nous laisser imposer par les fausses grandeurs du pouvoir. La tombe égalitaire n’admet point de privilèges, et les cadavres qu’on descend dans la fosse ne doivent être jugés que sur leurs actes. Si donc nous qui sommes vivants à cette heure, nous avions le choix entre la renommée sinistre du dernier Bonaparte et celle du pauvre paysan, qui est là dans ce cercueil, nous n’hésiterions pas ; nous voudrions que notre mémoire fût bénie et honorée comme celle de Nogaret.