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garçons et moi, aidés de nos cousins de Tourtoirac et de Génis : aucun d’étranger n’y toucha.

C’était beau de voir le cercueil de cet ancien, couvert de branches de chêne, comme il l’avait demandé, porté par les siens, les uns en veste blanche de meuniers, les autres en sans-culotte brun ou noir, et, parmi ces habits paysans, un uniforme d’officier à deux galons d’or.

Il n’y avait point de curé. Fournier marchait devant, ceinturé avec son écharpe, et toute la commune suivait nos femmes derrière le cercueil. Après qu’aidé de mes garçons, j’eus descendu tout doucement le pauvre oncle dans la fosse, Fournier, monté sur la terre déblayée, lui fit l’adieu dernier et voici ce qu’il dit, tel que je l’ai ouï, tel qu’il me l’a répété pour le coucher par écrit :

« Ce n’est pas la coutume, mes chers citoyens, de faire de discours sur la tombe d’un homme du peuple, d’un travailleur, d’un paysan. Jusqu’à présent, cet honneur était réservé aux rois, aux grands, aux puissants de la terre, gens inutiles ou nuisibles. Il est temps, maintenant que la République luit pour tout le monde, comme le soleil, de prendre d’autres mœurs, d’autres usages et de rendre à nos morts, à ceux qui ont vécu, souffert, travaillé avec nous, l’hommage qui leur est dû.

« Si quelqu’un a mérité ce dernier souvenir, mes chers amis, c’est celui qui est là couché dans ce cercueil que la terre va recouvrir tout à l’heure. Nogaret naquit en 1806, à une époque qu’on appelle glorieuse, parce qu’alors un homme insensé, traînant à sa suite des centaines de mille soldats, en faisait tuer beaucoup, et tuait encore plus d’ennemis, pour rien. Mais son père était un volontaire de 1792 ; mais un de ses oncles était mort à Jemmapes pour la France ; mais son grand-père était un patriote ; et dans cette humble maison du Frau on conservait le culte de la Répu-