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bant de l’écluse. En face de la fenêtre, le vent faisait bruire les feuilles de notre arbre de la Liberté qui commençaient à jaunir. Tout à la cime de l’arbre, le drapeau que les droles y avaient monté le quatorze Juillet flottait toujours au vent. L’oncle regarda tout ça un moment sans rien dire, puis il appela bien bas bien bas le pauvre, l’aîné de Fournier, qui avait ses quatorze ans :

— Viens là, mon Robertou.

Quand le drole fut là, penché sur le lit, l’oncle lui dit tout doucement, comme un souffle :

— Chante la Marseillaise.

Et le drole émotionné, les yeux brillants, debout auprès du lit, commença de sa voix claire et tremblante un petit :

Allons, enfants de la Patrie
Le jour de gloire est arrivé !

Tandis qu’il chantait, l’oncle, les yeux perdus au ciel du lit, une main sur la tête du drole, écoutait en extase.

Lorsque le petit fut à la fin :

Nous entrerons dans la carrière
Quand nos aînés n’y seront plus !…

l’oncle se rit un peu et ferma doucement les yeux. En nous approchant, nous voyions bien qu’il n’était pas mort, mais il ne parla plus. De temps en temps il ouvrait les paupières, et, nous voyant tous autour de son lit, et ma femme dans la ruelle lui tenant la main, il les refermait, tranquille. Au bout d’une heure son souffle devint à rien, et, puis s’arrêta tout doucement : il était mort.

Nous avions mandé la triste nouvelle à Yrieix par le télégraphe, de manière que le lendemain toute la famille était réunie. Sur les quatre heures du soir, l’oncle fut porté en terre par nous autres, mes six