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des cailles, et on lui en avait fait rôtir une. Après avoir pris un peu de bouillon de poule, il mangea la moitié d’une aile de cette caille ; ça fut tout ce qu’il put faire. Quand ce fut sur la fin du dîner, il me dit : Va quérir du plus vieux vin… que nous trinquions ensemble.

Quand le vin fut versé dans les verres, on lui donna le sien, et tous, petits et grands, nous vînmes choquer avec lui. Après avoir bu une gorgée, il rendit son gobelet et se laissa aller sur les coussins.

— Mes enfants, je suis content de vous avoir vus tous, autour de moi… manque Yrieix… Mais le pauvre drole, je ne l’oublie pas. Écoute, Hélie, dans mon tiroir, il y a des valeurs, tu sais, qui me sont dues… pour une douzaine de cents francs approchant : c’est pour Yrieix qui a pris une femme pauvre… pour lui aider à s’établir plus tard… fais-je bien ?

— Oui, oui, oncle, dîmes-nous tous.

— Donc, alors, tout va bien, mes enfants… moi je pars la conscience tranquille… et je vais aller dormir à côté de nos anciens… Je ne regrette qu’une chose… vous savez quoi !

— Hélie, mon fils, le jour où on aura chassé de France, de là-bas, d’Alsace… les derniers Prussiens, tu viendras sur ma fosse, et te penchant vers moi, tu me diras :

— Oncle ! ils sont partis !

Il avait parlé fort, et ça l’avait fatigué. Un moment après, il nous dit :

— Ouvrez les fenêtres, que je voie encore le soleil.

C’était un de ces beaux jours de l’été de la Saint-Martin, qui sont communs en Périgord. Le soleil rayait fort, séchant le long de la rivière les regains dont l’odeur montait jusqu’à nous. Le moulin était arrêté, et on n’entendait que le bruit des eaux tom-