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des empereurs, des tyrans… La branche de chêne, c’est la marque du citoyen ! Vous m’en mettrez sur ma caisse, quand je serai mort !

Il faisait bon là, à l’ombre. Dans la plaine, les blés mûrs se balançaient doucement, les cigales chantaient après le tronc des arbres, les eaux de l’écluse bruissaient, et on entendait au bourg péter le petit canon que Fournier avait acheté exprès.

Ma femme prit une chaise et vint se mettre près de l’oncle, pour lui faire compagnie, et Victoire en fit autant, ayant son drole sur les genoux. Nous autres, nous étions assis sur le petit mur ou appuyés contre, et nous regardions l’oncle, tranquille et content, avec sa bonne figure, tandis qu’un petit vent doux agitait un brin sa barbe et ses cheveux blancs.

De temps en temps, il nous disait quelques paroles :

— Cette fois, mes droles, la République a gagné pour toujours… Ils auront beau faire, les nobles, les curés et les autres, ils n’y pourront rien… Je suis content d’avoir vu ça… Mais il y a quelque chose que j’aurais voulu voir aussi… Là-bas, vous savez, les sales Prussiens !… J’aurais voulu les voir partir ! Mais je suis trop vieux… Vous autres, vous verrez ça. Quelle belle fête, ce jour-là !

Il resta comme ça, l’après-dînée, se remémorant les choses d’autrefois, et de temps en temps nous faisant part de ce qu’il pensait.

Depuis, il continua de décliner peu à peu, tout doucement. D’un jour à l’autre on ne s’en apercevait pas, mais si bien de mois en mois, lorsqu’on voyait qu’il ne pouvait plus mettre ses souliers tout seul, ou ne se levait de son fauteuil qu’avec le secours de quelqu’un de nous. Lorsque Bernard vint en permission au mois d’octobre, il ne se levait plus que les jours où il faisait beau soleil, et seulement vers midi. Quand je dis qu’il se levait, il faut dire qu’on le