Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/425

Cette page a été validée par deux contributeurs.

vite et je lui en parlai. À la première parole il me confessa la vérité : cette fille lui convenait, et avec notre permission il voulait la prendre pour femme. Moi je lui dis qu’il fallait bien y penser avant de faire cette affaire ; que de prendre une fille n’ayant rien, lui qui n’aurait pas grand’chose plus tard, c’était se mettre dans la misère, les enfants venant ; que dans la vie on ne pouvait pas toujours suivre ses goûts ; qu’il fallait penser à l’avenir et consulter la raison, attendu que le mariage avait ses charges et qu’il était bon de se mettre en mesure de les supporter.

Je sais bien, continuai-je, que tu pourrais me dire que je n’ai pas tant calculé que ça pour prendre ta mère quoiqu’elle n’eût rien. Ça, c’est vrai ; mais moi j’étais dans une autre position que toi, mon pauvre drole, ayant quelque dizaine de mille francs de ma mère, et assuré de plus de l’avoir de mon oncle.

Là-dessus il me répondit que j’avais bien raison en ce que je disais, mais que pourtant, si on ne se mariait jamais qu’ayant l’avenir assuré, il y aurait les trois quarts des gens qui ne se marieraient pas. Quant à lui, il se sentait force et courage pour nourrir une femme et des enfants ; il affermerait un moulin et se tirerait d’affaire ; il ne me demandait seulement que de lui aider un peu.

Le voyant décidé, je lui dis alors que dans tous les cas rien ne pressait ; qu’il fallait attendre quelque temps, afin de ne pas prendre un caprice passager pour une amitié solide.

Il me répliqua qu’il attendrait donc, bien résolu qu’il était de ne rien faire sans mon consentement.

— Écoute, lui dis-je, puisque c’est comme ça, et que tu es bon drole, voici ce qu’il faut faire. Ça n’est pas en trimant dans un petit moulin de par là, que tu te tireras d’affaire. Il te faut voir un peu la minoterie et travailler dans les grandes usines ; tu apprendras là quelque chose qui pourra te servir à