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troubler. Ce qu’il y aurait de mieux, ça serait de regarder tranquillement les accidents et de tâcher d’en tirer le meilleur parti qui se puisse. Mais voilà, celui qui a la charge de la maison, porte le poids des inconvénients pour lui et pour les siens. Les jeunes gens libres de ce souci ont encore dans les yeux l’espérance, qui trompe souvent, comme les feux-follets qui dansent dans les prés, mais qui, en attendant, les fait marcher joyeux.

Les droles donc, chez nous, ne se faisaient pas beaucoup de mauvais sang de cette affaire, au moins en ce qui les touchait. Ils buvaient de la piquette au lieu de vin, et n’y faisaient pas attention. Nous buvions bien quelque peu de vin, le dimanche, pour faire chabrol, et puis s’il venait quelqu’un chez nous ; mais autrement de la piquette. Il n’y avait que mon oncle qui ne bût que du vin, parce que l’ayant de coutume depuis si longtemps, ça aurait pu le fatiguer, joint à ça que l’on dit que le vin est le lait des vieux.

Au carnaval de l’année 1881, Bernard demanda une permission et vint nous voir sans nous avoir écrit. Il descendit du chemin de fer à Thiviers et vint de son pied pour nous surprendre. Il venait d’être nommé sergent-major, mais nous n’en savions rien. Le dimanche gras au soir donc, nous étions à souper, quand nous entendons japper la Finette, puis quelqu’un montant l’escalier et ouvrant la porte : Bernard ! Tout le monde fut bientôt debout. Lui, courut à sa mère et l’embrassait comme du bon pain, tandis qu’elle, fière de son drole et heureuse de le revoir, avait les yeux mouillés. Après la mère ce fut le tour de la belle-sœur Victoire et puis nous autres. Quand il eut fait ses amitiés à tous, la grande Mïette lui mit une assiette à côté de sa mère et il s’assit à table. Tout en mangeant, on lui fit fête à cause de ses galons ; lui, cependant, nous expliqua qu’il allait se préparer pour une école où vont les sous-officiers,