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— Nous voilà bien plantés, dit mon oncle ; au lieu de vendre quelques barriques de vin, il nous faudra en acheter.

— Mais peut-être, reprit ma femme, que d’ici là, on aura trouvé un moyen de guérir cette maladie.

— Il ne faut pas compter là-dessus, répondit l’oncle, il y a quinze ans que les savants cherchent le moyen de tuer le phylloxera, et ils ne l’ont pas trouvé.

— Je me demande de quoi ils servent, alors, dit notre aîné.

Ça se passa bien comme je l’avais dit : l’année d’après nous ne fîmes pas le quart de vin comme d’habitude et encore pas bon, parce que les vignes malades ne pouvaient plus faire mûrir le raisin ; et puis l’année qui suivit, rien. Je parle des vignes de la Côte, car la vieille vigne dans le terme, au-dessus de la maison, résista un peu plus, mais au bout de trois ans elle était comme l’autre : en tirant sur les pieds, ils suivaient comme qui arrache une rave.

Voyant ce qui nous attendait, je ne vendis pas de vin, me disant que celui que nous avions, il fallait le garder pour le temps où il n’y en aurait plus du tout : et puis, afin de le ménager, on fonça de la vendange dans des barriques pour faire de la piquette toute l’année. Nous avions aussi une demi-barrique de vin de la vieille vigne qui avait quatre ans, et d’autre de deux ou trois ans. Mon oncle me dit qu’il fallait tirer cette demi-barrique en bouteilles afin de le garder pour quelque grande occasion ou en cas de maladie. Quand ce fut fait, on mit les bouteilles dans des caisses avec de la paille.

La jeunesse qui a le temps devant elle, ne se tracasse point comme nous faisons pour beaucoup de choses, nous autres gens âgés. Peut-être si nous étions sages, devrions-nous faire comme elle, et porter les traverses qui surviennent sans nous en