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minée fumait, les termes au-dessus avec leurs bois châtaigniers, et la gorge boisée de la rivière, lorsque étant à un tout petit quart de lieue de chez nous, je portai mes yeux sur nos vignes de la Côte, et là, au milieu, je te m’en vais voir une place ronde, grande comme un sol à battre cinquante gerbes, où les feuilles étaient jaunâtres, au prix des autres d’autour qui étaient franchement vertes. Ça me donna un coup dans l’estomac : c’est la maladie de la vigne ! que je me dis : Nous avions bien ouï dire que dans le Midi elle avait fait crever toutes les vignes ; nous savions que du côté de Bergerac elle ravageait tout, mais je ne sais pas pourquoi, moi, comme bien d’autres, nous ne pouvions pas nous mettre dans l’idée qu’elle viendrait jusque chez nous.

Et pourtant c’était bien elle, c’était bien la maladie, marquée par cette tache ronde qui d’année en année allait s’élargir comme l’huile sur une touaille, et tuer toutes nos vignes ! Je finis d’arriver chez nous tout ennuyé, ne pensant plus à faire péter mon fouet, comme de coutume, pour m’annoncer. Après avoir mis la mule à l’écurie, je montai à la maison, et après m’être lavé les mains, je m’assis à table pour dîner avec les autres. Moi, je déteste tellement de tromper, que sans que je m’en doute, sur ma figure on connaît quand j’ai quelque chose. Ma femme vit bien que j’étais tracassé, mais elle ne me dit rien devant chez nous. Quand j’eus mangé un morceau lentement, pensant en moi-même à ce gueux de phylloxera, Hélie me versa à boire un plein gobelet de vin.

— Doucement, petit, que je lui dis, il faut le ménager, car bientôt nous n’en aurons plus ; la maladie est dans nos vignes.

— Comment ! que dis-tu ? firent-ils tous.

— Oui, malheureusement, je l’ai vu tout à l’heure. Dans nos vignes de la Côte il y a une tache jaune, d’ici deux ou trois ans tout sera mort.