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droles venaient à souhait. François, qui était né en 1860, avait tout près de dix-neuf ans, et c’était un fier garçon qui nous aidait bien au moulin et partout. Celui qui venait après, Yrieix, avait trois ans de moins et commençait aussi à s’occuper : les deux derniers allaient encore en classe.

Mon oncle, lui, portait bravement ses soixante-treize ans passés, mais il ne faisait plus rien que quelque gigognerie pour s’amuser. Les droles lui disaient toujours : — Oncle, repose-toi, tu as assez travaillé, c’est à notre tour maintenant ! Et lui les écoutait, et s’asseyait par là au moulin sur un sac, et leur parlait de choses et d’autres, mais ayant soin que ce fût quelque affaire propre à les instruire ou à leur donner de bons sentiments. Des fois il causait avec les gens qui venaient faire moudre, et quelquefois aussi, il dévalait jusqu’au bourg pour voir les anciens.

Ma femme, elle, était toujours la même. Je crois bien qu’elle avait quelque peu vieilli, mais moi je n’y connaissais rien. Elle était toujours vaillante, active, avisant au bien-être de chacun et de tous, aimant sa nore autant que sa fille, et ne sortant jamais de chez nous. Quelquefois les gens lui disaient : — Vous n’êtes jamais allée à Périgueux ? ou bien : vous n’allez point à Excideuil ? ou ici, ou là ? et elle leur répondait :

— Que voulez-vous que j’y aille faire ? j’ai tout mon monde autour de moi.

Mais le contentement ne peut pas durer toujours ; les hommes étant toujours heureux, se trouveraient malheureux, faute de comparaison ; il faut donc qu’il y ait de temps en temps quelque méchante affaire qui s’en mêle.

Un jour je revenais de porter de la farine et j’étais tranquillement sur ma mule, jambe de ça, jambe de là, regardant devant moi notre maison, dont la che-