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malheureux où étaient réduits nos pauvres ancêtres en ces temps-là.

Et puis, ce qui me plaisait chez ce régent, c’est qu’il ne se croyait pas lié par les dires rabâchés depuis longtemps. Il faisait très bien voir que du temps de Henri IV, le paysan n’était pas plus heureux que sous Louis XIV. Ce roi finaud, qui souhaitait la poule au pot aux paysans, — la poulo, canard d’Henricou, comme dit Clédat, de Montignac, — les faisait bellement massacrer lorsque, mourant de faim, foulés par les nobles, pillés par les soldats, écrasés par la taille et les rentes, le désespoir leur faisait prendre leurs fourches. Et ce n’est pas au loin que ça se passait, c’est dans notre pays même ; mais qui connaît les pauvres Croquants du Périgord ? La plupart des historiens n’en parlent guère, que pour faire des brigands de ces malheureux soulevés par la désespérance.

Les histoires anciennes sont pleines de menteries, disait M. Malaroche. Les flagorneurs qui ont écrit que Henri IV était un roi populaire, n’ont pas consulté le peuple. Ce gascon, grand prometteur, mince teneur, qui faisait du bien à ses ennemis et oubliait ses amis des mauvais jours, n’a jamais été si aimé que ça chez nous. Et la cause en est dans le vieux souvenir plein de rancœur de la répression des Croquants ; dans celui de sa cruauté pour les pauvres braconniers qu’il faisait pendre sans merci, et enfin parce qu’il a fait couper la tête à Biron, dont toutes les veines avaient saigné à son service.

On n’a jamais ouï chanter en Périgord la chanson de Biron, sans abominer l’ingratitude monstrissime de Henri IV. C’est tellement vrai, qu’il était défendu de la chanter autrefois ; cinq bourgeois de Domme furent mis en prison, du temps de Louis XIV, pour l’avoir chantée dans une auberge, et encore elle fait quelque peu son effet.