Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/410

Cette page a été validée par deux contributeurs.

à Saint-Germain, emportant un beau plat de poisson pour M. Vigier. Hélie avait pêché la nuit pour le prendre, et il n’avait guère dormi, mais le matin, après être resté deux ou trois heures au lit, il avait été piquer sa tête au-dessus du moulin, et il n’y a rien comme l’eau fraîche pour vous réveiller.

M. Vigier était un notaire de l’ancien temps, qui ne faisait pas de fla-fla, mais qui arrangeait bien les affaires, et sûrement. Quand on lui portait de l’argent à placer, il le serrait dans son coffre, et lorsqu’il avait trouvé un homme voulant emprunter, il passait une obligation. S’il ne trouvait personne et que les gens voulussent reprendre leur argent, il leur rendait les mêmes écus, dans le même sac, lié avec la même ficelle. Aujourd’hui on fait autrement, et on plaisante ces anciens, mais avec ça on n’en voyait pas, comme aujourd’hui, passer aux assises.

Chez M. Vigier, les choses étaient à l’ancienne mode. Dans l’étude il y avait un coffre, de même forme que nos anciens coffres, mais tout en fer, avec un tas de mécaniques à secret qu’on voyait lorsque le couvercle était levé. Les actes étaient serrés dans un grand cabinet ; et, avec deux tables massives et cinq ou six chaises paillées, c’était tout le mobilier.

Toute la maison était dans le même genre de l’étude ; on n’y voyait point de ces meubles nouveaux, que l’on trouve maintenant chez tous les gens un peu cossus ou qui veulent le paraître ; meubles qui font de l’effet, mais qui ne durent pas. La maison était telle qu’il l’avait reçue de son père en prenant l’étude, il y avait quarante-cinq ans, et les meubles et tout ; c’était solide encore, et le notaire aussi, qui était un bon homme tout à fait, et pas fier avec les paysans.

Lorsque nous entrâmes dans la cuisine, pavée de petits cailloux qui faisaient des dessins, la servante était en train d’arroser une dinde qui tournait devant le feu, par le moyen d’un tournebroche qui faisait