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et son ventre commençait à le gêner un peu. Jusque-là, il n’y avait pas eu de gageures, tout le monde était pour ainsi dire sûr de Poncet. Mais le Colosse du Nord, avec cette taille et ces membres de géant, imposa à quelques amateurs, qui parièrent pour lui. Voyant ça, mon oncle s’écria :

— Une pistole contre un écu pour Poncet !

— Tenu ! tenu ! firent plusieurs.

— Voyons, vous êtes, un, deux, trois, quatre, ça va.

Et les enjeux furent mis entre les mains d’un tiers.

Puis les deux hommes se crochèrent.

Ils commencèrent par se tâter l’un l’autre, chacun cherchant à deviner le côté faible de son adversaire. Puis ils s’engagèrent sérieusement, et sur leurs jarrets et leurs bras, les tendons se dessinaient en saillie. Le lutteur se méfiait des bras du meunier, et s’arc-boutait sur ses reins pour ne pas lui donner de prise ; mais cette position qui l’éloignait de son homme le gênait pour l’attaque. Il réussit pourtant à le faire branler un peu sur ses jambes, mais tous ses efforts commençaient à le faire souffler. Alors Poncet raidit ses bras, et l’attira un peu à lui. Se sentant serré de près, l’hercule voulut se servir de sa masse, pesa sur le meunier et le poussait, afin de saisir, dans un mouvement de recul, l’instant de l’enlever. Mais Poncet porta un jarret en arrière, et ne bougea plus. C’était beau à voir, ma foi, ces deux hommes qui luttaient, butés l’un contre l’autre comme deux taureaux entêtés. Leur front luisant sous la flamme rouge des lampions, leurs nasières ouvertes à y fourrer le pouce, leurs yeux brillants, leur bouche serrée, marquaient que cette fois c’était pour de bon. Tous leurs membres accusaient leurs efforts ; leurs tendons sortaient de la chair, comme des cordes, et les veines de leur cou se gonflaient comme prêtes à crever. Cependant Poncet sentant l’hercule souffler,