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et il lui fallait quelqu’un pour la commander, autrement elle ne savait plus où elle en était.

Mais ni le médecin, ni les fioles, ni les soins, rien n’y fit, la pauvre demoiselle mourut trois semaines après. Ce que c’est que de nous ! quand je la vis sur son lit, devenue à rien, la figure comme de la cire, la peau collée sur ses mâchoires, tous les os paraissant, je me pris à penser à la belle fille qu’elle était, quand elle venait au moulin, du temps que j’étais tout petit, et même lorsque j’avais été avec elle, voir à Prémilhac la femme de son ancien métayer nouvellement accouchée. Ses yeux bleus autrefois si beaux et si aimables, maintenant ternes et éteints, étaient cachés pour toujours sous leurs paupières amincies. Ses lèvres, jadis rouges et un peu épaisses, étaient violettes et comme desséchées ; ses joues fraîches où on voyait transparaître le sang, étaient réduites à une peau jaunâtre ; et à la place de ces touffes de beaux cheveux dorés qui lui tombaient en grappes épaisses jusque sur la poitrine, il n’y avait plus qu’un pauvre petit maigre rouleau de cheveux gris plaqué contre ses tempes ! On dira ce qu’on voudra, les larmes m’en vinrent aux yeux.

Le juge de paix, averti par Fournier, vint poser les scellés, en cas qu’il y eut des héritiers, mais il n’y en avait plus. Le dernier de sa famille à ce qu’elle nous avait dit, était un cousin qui s’était perdu en mer, avec le bateau qui le portait aux Amériques. Le bien appartenait d’ailleurs à Fournier, et la demoiselle n’en avait plus que la jouissance. C’est bien vrai que le mobilier n’était pas compris dans la vente, mais c’est qu’il n’en valait guère la peine. Au reste, à la levée des scellés, le juge trouva un papier en manière de testament, où elle donnait à Nancette le meuble qui était dans sa chambre, et à nous autres tout le reste, à l’exception d’un lit garni, de six chaises, d’une table, d’un cabinet et d’une petite lingère