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eux dont le jugement est faussé par ces nécessités du métier. Sans doute, c’est un avantage que de faire partie d’une corporation qui a combattu et ruiné tous les privilèges, en conservant soigneusement les siens ; mais ce n’est pas tout, voyez-vous, il faut avoir exercé une profession pour en bien connaître les ennuis ; et puis, vous savez, il y a des choses qui vont à d’aucuns et ne conviennent pas à d’autres : ainsi, moi, je n’aurais jamais su plaider une cause injuste, ni bien défendre un coupable.

Fournier continua un moment sur ce sujet, et de temps en temps, lorsque ses paroles annonçaient l’honnêteté de ses sentiments, je voyais ma femme et ma fille lever lentement les yeux sur lui ; et on connaissait que ça les intéressait.

Pendant que nous dînions, la pluie avait cessé, et nous descendîmes pour charger la farine de notre voisin sur sa jument. Tandis que nous étions à l’écurie, il s’en va voir notre furet qui était dans une caisse, et lors nous dit : puisque vous avez un furet, il vous faut venir prendre des lapins chez nous, j’ai cinq ou six clapiers où ils ne manquent pas ; les métayers se plaignent qu’ils mangent tout.

— Nous pourrions bien y aller quelque jour, que je lui dis.

— Venez dimanche matin ?

— Hé bien, tout de même, s’il n’y a rien de nouveau, nous viendrons dimanche.

Et en effet, nous y fûmes Hélie et moi, et après que nous eûmes tué une douzaine de lapins il fallut déjeuner.

Fournier demeurait dans une jolie maison que son père avait fait bâtir sur un coteau où il y avait encore cinq ou six vieux fayards ou hêtres, qui avaient donné à l’endroit le nom de La Fayardie. L’ancienne maison, qui était plus bas, à deux portées de fusil, servait pour des métayers. Sa servante était une vieille