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ce serait inutile d’abord, et ensuite ça pourrait vous mettre mal avec lui.

Le soir, je contai tout à mon oncle et à ma femme, et je leur dis que ce jeune homme avait l’air d’être un peu tête légère, mais pas méchant.

— Il est bâtard, alors, dit mon oncle, ça n’est pas un Lacaud.

Mais ma femme répondit qu’il tenait de sa mère, qui était une bonne femme.

— C’est vrai, répartit mon oncle, aussi a-t-elle été malheureuse avec cet homme-là, tant qu’elle a vécu.

Et nous fûmes quelque temps sans entendre parler du fils Lacaud.

Environ un mois après cette affaire, étant au moulin à picher une meule, j’entendis la voix d’Hélie qui s’exclamait dehors, et une autre voix qui lui répondait tranquillement. C’était un de nos voisins de bien, qui venait faire moudre un sac de blé. Je fus tout étonné en le voyant, car c’était un jeune homme qui demeurait à Paris, où il était avocat, et je ne comprenais pas comment il se trouvait là en gros souliers, venant faire moudre. Moi, je ne le connaissais guère, car, durant ses études, il n’était jamais au pays qu’aux vacances, et je ne l’avais vu que trois ou quatre fois, dont l’année dernière, il y avait un an, à l’enterrement de son père. Mais Hélie le connaissait bien, car ils étaient aux mobiles dans la même compagnie, et, ainsi qu’il est de coutume entre soldats, ils se tutoyaient. Il connut bien que nous étions surpris de le voir là, au moulin, et comme Hélie lui demandait si son domestique était malade, il répondit que non, mais que, demeurant dans son bien maintenant, et n’ayant pour l’heure rien à faire, il était venu faire moudre son domestique étant occupé ailleurs.

Nous n’en demandâmes pas plus long, bien entendu, et après avoir déchargé le sac et mis la jument