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Mais s’il n’y avait que ça, ce ne serait rien. Il faut que vous sachiez encore que votre père nous en a toujours voulu depuis ; qu’il a cherché tous les moyens de nous nuire, de nous ruiner, de nous faire des avanies. C’est lui qui, il y a quelques mois, avait porté cet imbécile de régent à renvoyer mes droles d’en classe ; c’est lui qui dans le temps poussa Pasquetou de Cronarzen, à nous faire un procès qui nous aurait grandement gênés à cette époque, si nous l’avions perdu ; c’est lui qui a dénoncé mon oncle en 1851, et qui est cause qu’on l’a mené à Périgueux entre deux gendarmes, les mains attachées avec une chaîne, comme un Delcouderc. Et ça n’est pas sa faute s’il n’est pas allé mourir là-bas à Cayenne, comme tant d’autres : vous comprenez que c’est des choses qu’on ne peut oublier.

— Je ne savais pas tout ça, qu’il me répondit, et je comprends que vous me répondiez comme vous le faites. Mais dites-moi, est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux éteindre ces haines de famille en pardonnant le passé ? Autant mon père vous a voulu de mal, autant moi je vous voudrais du bien : laissez-moi essayer près de mon père, et, de votre côté, ne m’ôtez pas tout espoir.

— Écoutez, lui répondis-je, vous me faites l’effet d’un brave garçon, et il m’en coûte de vous le dire, mais ces haines dont nous parlons ne peuvent s’éteindre qu’avec ceux qui les gardent envieillies au dedans d’eux, depuis trente et quarante ans. Il ne vous faut plus penser à ça : ni du côté de votre père, ni du nôtre, vous n’auriez jamais de consentement. Si votre idée n’est pas un caprice, — là, il secoua la tête, — vous en serez peut-être malheureux pendant quelque temps ; mais qu’y faire ? d’autres l’ont été qui ne l’avaient pas mérité plus que vous ; ainsi, il faut vous faire une raison. Allons, adieu, et si j’ai un conseil à vous donner, ne parlez pas de ça à votre père ;