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à son âge, et comme elle bonne et sage. Quelquefois en la regardant je me disais qu’il faudrait bientôt penser à la marier ; mais nous ne lui connaissions aucune idée pour personne, ni encore aucun garçon ne lui avait parlé, ni n’était venu chez nous, et comme on dit, pour se marier il faut être deux.

Nous étions pour lors en 1873, et c’est cette année-là, qu’on planta la statue de Daumesnil, à Périgueux.

Le jour fixé, c’était le 28 septembre, et nous fûmes tous trois, mon oncle, mon aîné et moi, pour voir ça. Quoique je ne sois pas curieux des fêtes et que je haïsse les foules, j’étais content de voir faire cet honneur à un vaillant soldat patriote, comme il nous en aurait fallu à Metz et ailleurs en 1870. Ça faisait du bien de penser au défenseur de Vincennes, depuis le temps que nous étions poignés par la trahison de l’autre.

Ce fut un des premiers jours du réveil du pays. Il semblait que le brave à la jambe de bois, du haut de son piédestal, soufflât sur sa ville natale de mâles pensées, et criât à ses citoyens : Debout ! et haut les cœurs !

Je ne dirai pas la fête, ni qui fit des discours, ni ce qu’on dit, ni ceux qui étaient sur l’estrade ; je n’y fis guère attention, et puis j’étais un peu loin. Mais de ce rassemblement d’hommes venus de toutes les parties du Périgord, paysans, ouvriers, artisans, messieurs, qui, sans se connaître, fraternisaient ensemble, se dégageait la pensée d’une France républicaine qui nous consolait et nous faisait espérer des jours meilleurs.

Quand nous revînmes chez nous, ceux des nôtres qui n’avaient pu venir à Périgueux, nous demandaient : Qu’avez-vous vu ? qu’a-t-on dit ? que s’est-il passé ? Et il fallait tout leur raconter, et l’espoir que nous avions rapporté, nous le leur faisions passer dans le cœur.