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premier soir que les deux missionnaires soupèrent chez le curé, le père Barnabé fit la grimace en tâtant de la bouteille qu’on servit avec le café.

— Elle n’est pas fameuse, cette eau-de-vie là, mon cher curé ! Vous n’en auriez pas d’autre, par hasard ?

Le curé, qui avait acheté tout ce qu’il y avait de meilleur marché, répondit que non, et alors le père Barnabé demanda s’il n’y avait pas moyen de s’en procurer de meilleure par là, à quoi le curé répondit sèchement, qu’il avait pris de la première qualité du pays.

Cette eau-de-vie fit qu’ils ne furent pas bien ensemble. Joint à ça que le curé rapiait tant qu’il pouvait sur la nourriture, de manière que le Père ne se gênait pas pour dire que le curé était un cuistre, et celui-ci ripostait que le moine était un ivrogne. Comme ces affaires-là se savent toujours, ces dires n’étaient pas faits pour mettre la paix entre eux ; aussi se quittèrent-ils brouillés, d’une brouille de prêtres, ce qui est la plus méchante espèce de brouille, à ce qu’on dit.

Lorsqu’un mois après la mission, le curé fut envoyé dans une toute petite commune de la Double, il y en eut qui dirent que c’était le père Barnabé qui le faisait partir, et leurs raisons avaient du poids assez. Mais que ce fût lui ou non, toujours est-il que ce pauvre Crubillou s’en alla dans une paroisse bien petite et bien pauvre, ce qui lui était dur, car avec la domination, il aimait aussi l’argent.

Un curé ordinaire venant après lui aurait passé pour un ange, mais celui qui le remplaçait était bien le meilleur qu’il fût possible de voir. C’était un homme d’âge, bon et charitable à donner ses chemises, qui prenait les gens par la douceur toujours, ne faisait pas de politique, ne se mêlait point des affaires de la commune, ni de celles des particuliers,