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des larmes qui coulaient des yeux de la pauvre femme, qui ne pouvait se déprendre de son aîné, et qui ne savait que dire : mon drole ! mon pauvre drole !

— Hé bien, dit mon oncle au bout d’un moment, et les autres ?

Là-dessus sa mère le lâcha, et il embrassa son oncle, sa sœur, ses frères et Gustou, qui était pour nous comme un parent. Ayant vu tout son monde, il revint vers sa mère qui l’embrassa encore, et lui, la prenant après ça tout doucement, le bras sur les épaules, nous revînmes à la maison. Mais auparavant, les petits se disputèrent à qui porterait la musette de leur aîné, et sa gourde à mettre le vin, et il fallut les contenter chacun à leur tour.

Le soir il nous conta tout ce qu’il avait vu, les affaires où il s’était trouvé, toutes les misères qu’il avait fallu supporter, et enfin tout ce qui lui était arrivé. Comme bien on pense, tout le monde lui faisait des questions à n’en plus finir. Mais à neuf heures, sa mère se leva et dit : — Il faut le laisser aller au lit, il est fatigué ! Viens, mon Hélie.

Le lendemain le drole se remit au moulin comme si de rien n’était, et depuis, jamais on ne l’entendit bavarder comme tant d’autres, de cette malheureuse guerre. Si quelquefois nous autres lui demandions quelque chose, il nous disait ce qui en était, mais tout juste ; on voyait qu’il n’aimait pas à parler de ça. Pour ce qui est des étrangers, si quelqu’un lui faisait de ces questions, il répondait tout bonnement que les soldats ne voyaient pas grand’chose, et que lui ne savait rien qui valût la peine d’être conté.

Son retour fut bien à propos, car le pauvre Gustou commençait à se faire vieux. Il était de l’âge de mon oncle à ce qu’il disait ; mais ce n’était pas tant ça qui le gênait, que des douleurs qui le travaillaient. Petit à petit, il lui fallut laisser son ouvrage, ayant peine à