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nous nous promenâmes tous les deux, le drole et moi, et je lui fis toutes mes recommandations, de nous faire savoir de ses nouvelles toutes les fois qu’il pourrait, et principalement après qu’il y aurait eu quelque affaire, afin de ne pas nous laisser dans l’inquiétude. Que si par malheur il était malade, ou blessé, de nous faire envoyer une dépêche à seule fin d’aller le soigner. Après ça, je lui achetai une ceinture de cuir, dans laquelle je mis de l’argent, et je le fis ceinturer avec, par-dessous sa chemise.

À quatre heures, nous étions devant les Messageries, où La Taupe attelait. Lorsque tout fut prêt, j’embrassai deux fois mon aîné, faisant un peu le crâne devant les gens, mais au fond ça me faisait quelque chose. Lui, il n’avait l’air de rien ; mais moi, sachant combien il nous aimait, surtout sa mère, je me disais : ce drole a de la force et du caractère. Lorsque je fus là-haut, La Taupe prit ses guides, fit péter son fouet, cria hue ! et les chevaux montèrent lourdement jusqu’au Triangle.

Lorsque je fus le soir à la maison, je trouvai tout le monde triste mais tranquille. Ma femme avait consolé les petits et Nancette, en leur faisant comprendre que leur frère était parti pour nous défendre. Tout le monde fut bien content de savoir qu’il était dans les mobiles ; au moins là, dit la Nancette, il trouvera des pays, des connaissances ; il n’y en manque pas de chez nous : le petit Vergnou le fils de chez Magnac, Jean Coustillas et tant d’autres.

Le départ de notre aîné, comme bien on pense, ne fit que nous rendre encore plus ennuyés. À tous nos malheurs, s’ajoutaient les inquiétudes que nous avions pour cet enfant ; aussi ce fut un triste hiver que celui-là pour nous. En voyant toute la campagne couverte de neige, nous nous disions : peut-être le pauvre drole couche-t-il dehors avec ce temps. Et quelquefois, la nuit, ma pauvre femme, songeant