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même, car il ne manquait pas de gens chez nous qui avaient leurs garçons à l’armée, et leurs lettres ne disaient rien de bon. D’ailleurs, ce qui le prouvait, c’est que les Prussiens avançaient en France.

En ce temps-là, les foires et les marchés, ce n’était rien ; les gens n’y venaient guère plus, car les affaires étaient comme mortes. Ceux qui y venaient, les trois quarts, c’étaient des pauvres gens, qui avaient des enfants à l’armée et voulaient tâcher d’avoir des nouvelles. Mais les nouvelles étaient mauvaises toujours, et ils s’en retournaient tout tristes, et portaient ça dans leurs villages. L’inquiétude se propageait de maison en maison dans les campagnes, et les imaginations travaillaient. Les malheurs particuliers de ceux-ci et de ceux-là, dont les fils avaient été tués, et il n’en manquait pas, touchaient un peu tout le monde, car il n’y avait guère de familles qui ne fussent exposées à apprendre un pareil malheur. Et puis, beaucoup de gens chez nous ne savaient pas seulement le nom de la géographie, tant s’en fallait qu’ils sussent ce que c’était que la chose, en sorte qu’à force d’entendre dire : les Prussiens sont entrés ici, là ; à tel endroit ils ont réquisitionné le blé, les bestiaux ; à tel autre ils ont emmené le maire, ils ont fusillé deux habitants ; à force donc d’entendre dire ça, bien des paysans se figuraient qu’ils étaient tout proches. Aussi, tous les étrangers qui passaient par le pays, on les prenait pour des espions, surtout s’ils avaient la barbe rousse, et on les arrêtait quelquefois. C’était bête à en rire, si ça n’avait pas été si triste en même temps.

Dans les premiers jours de septembre, notre aîné s’en fut à Excideuil, chercher pour faire prendre pour les vers à notre petit Bertry qui était un peu fatigué. Le soir, il était neuf heures qu’il n’était pas revenu. Sa mère commençait à s’inquiéter, et nous nous demandions pourquoi il n’était pas rentré, lorsque tout