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— Mon pauvre vieux, riposta mon oncle, tu n’exerces pas tes fonctions en ce moment, et je ne t’insulte pas en te tutoyant, comme il y a cinquante ans, et en t’appelant Bernou comme ton grand-père qui valait cent fois mieux que toi : ton procès-verbal, je m’en fouts !

Et nous passâmes.

M. Lacaud devint de toutes les couleurs, et resta un moment comme interdit, tandis que derrière lui les gens se riaient tout doucement, car on le craignait, mais on ne l’aimait pas. Puis coup sec, il rentra chez lui, comme s’il allait faire son procès-verbal.

Quand nous sortîmes de la chambre où on votait, quelques-uns de ceux qui étaient présents vinrent taper dans la main de mon oncle, comme pour lui faire compliment, n’osant rien dire par prudence, mais contents au fond qu’il eût rabroué cet insolent parvenu.

Le dépouillement acheva de tomber notre pauvre maire. Il s’attendait à trois : Non, ceux du Frau, mais il s’en trouva sept. Sur cent quarante électeurs, ça n’était rien, mais pour lui c’était beaucoup, car il se vantait à la Préfecture que sa commune était une commune modèle, toute dévouée à l’Empereur, et voici qu’elle se gâtait, car, s’il y avait sept électeurs ayant le courage de voter : Non, il fallait compter qu’il y en avait beaucoup d’autres derrière, moins hardis que ceux-là, mais prêts à les suivre à la moindre secousse. Parlant de ça le soir après souper, nous cherchions quels pouvaient être ces quatre de renfort, et nous trouvions que ça devait être Pierrichou de chez Mespoulède, dont le fils avait été tué au Mexique ; puis le vieux Roumy qui y avait perdu un des siens mort de la fièvre jaune, et après, Mazi Chaminade, que M. Lacaud avait fait exproprier d’une chènevière, pour le tracé d’un chemin vicinal