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sion, disant que dans la vie on était obligé souventes fois de faire des choses qu’on n’aurait pas voulu, il nous conta l’affaire. Mon oncle lui répondit que, puisque tous les électeurs étaient convoqués, nous irions voter comme les autres ; qu’il n’avait qu’à dire ça à M. Lacaud. Et au reste qu’il ne lui en voulait point du tout de la commission, bien sûr qu’il ne la faisait pas de bon gré. Et pour preuve, ajouta-t-il, je veux vous faire goûter notre vieille eau-de-vie. Là-dessus, il dit à Nancette de porter la bouteille à long col et nous trinquâmes derechef, après quoi M. Malaroche s’en retourna porter la réponse au maire.

Je pense que M. Lacaud passa une mauvaise nuit, car le lendemain, lorsque nous le vîmes sur la place, tandis que son adjoint le remplaçait au bureau, il n’avait pas bonne figure.

N’ayant pas réussi à ce qu’il voulait, il rageait, cet homme, et nous regardait venir, tous trois avec Gustou, d’un mauvais œil. Lorsque nous fûmes près de passer devant lui pour aller voter, il interpella mon oncle, avec son arrogance ordinaire :

— Hé bien, Nogaret, vous ne voulez donc jamais être sages au Frau ?

Il se croyait encore en 1859, mais il se trompait d’époque, les raisons qui nous faisaient taire n’existaient plus.

Mon oncle se planta devant lui, les mains dans les poches de sa culotte, le regarda de son air narquois, et lui dit tout goguenard :

— Allons ! allons ! mon pauvre Bernou, tu sais bien que les Nogaret n’ont pas besoin de toi pour savoir ce qu’ils ont à faire ; laisse-les donc tranquilles !

Appeler M. Lacaud, — du Sablou — Bernou, c’était l’attaquer par son plus sensible ; aussi il s’écria : — Vous êtes un insolent ! je vous dresse procès-verbal, pour outrages dans l’exercice de mes fonctions !