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n’étions plus que trois voix républicaines dans la commune, mon oncle, Gustou et moi. Et encore je compte la voix de Gustou parce qu’il votait toujours comme nous, depuis 1851 qu’on avait arrêté mon oncle. Mais ce n’était pas qu’il fût républicain ; non, en fait de gouvernement, il ne comprenait qu’une chose, c’est qu’il fallait des gens pour commander et le reste pour obéir. Tout ce qu’il demandait, c’est que ceux qui commandaient, ne fissent pas de coquineries : mais c’est là le difficile justement, quand la grande masse est toute disposée à s’en rapporter à eux.

Nous n’étions donc que trois voix, mais c’était trois : Non, bien sûrs, et M. Lacaud les aurait payées cher. Il les voulait tellement, qu’il alla jusqu’à nous proposer de faire mettre Bernard au collège de Périgueux, pour rien ; de faire exempter Hélie l’aîné, lorsqu’il tirerait au sort l’année prochaine. Mais nous répondîmes à celui qui s’était chargé de la commission que nos voix ne s’achetaient pas avec des injustices, ou autrement. La veille du vote, ne sachant plus comment faire, notre maire nous envoya le régent, qui était aussi secrétaire de la mairie, pour demander à mon oncle de ne pas venir voter, puisqu’il ne voulait pas voter Oui. Ce pauvre M. Malaroche vint le soir, assez ennuyé de cette commission, mais il fut tout de suite à son aise avec nous. C’était un brave homme qui, je crois bien, n’approuvait pas tout ce qui se passait, ni tout ce que faisait le maire, mais il avait quatre enfants et sa place lui faisait besoin, aussi il ne disait rien, tâchait de passer inaperçu, faisant le moins de bruit possible, et répondant en toussant : Hum ! hum ! aux questions qui lui paraissaient dangereuses. Mais tout de même, il y avait des moments, où quand il était avec des gens sûrs, comme chez nous, on voyait que ça lui pesait.

Nous choquâmes de verre ensemble, car nous finissions de souper, et après s’être excusé de la commis-