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rien ; ils regardaient tomber la grêle comme écrasés, ayant perdu la parole ; d’aucuns marronnaient entre leurs dents, on ne sait quoi, des prières ou des jurements :

— Tonnerre ! s’écria Lajarthe, et on dit qu’il y a un bon Dieu !

— Taisez-vous ! malheureux ! crièrent les femmes de chez Maréchou ; mais les hommes ne dirent rien, et je crois qu’il y en avait qui pensaient tout au moins que le bon Dieu n’était pas trop bon en ce moment.

Quand ce fut fini, qu’il ne tombait plus qu’un peu de pluie, nous sortîmes, et les gens du bourg en faisaient autant : chacun semblait pressé de voir son malheur, comme s’il pouvait en douter.

Autour du bourg, c’était partout la même chose ; dans les prés envasés, l’herbe était sous la boue, les terres à blé étaient foulées comme un sol à battre. Les chènevières semblaient de cette pâtée d’orties qu’on donne aux dindons ; les vignes et les arbres étaient hachés, les jardins saccagés ; tout ce qui était sorti de terre était perdu. Et de tous côtés on entendait les cris des femmes, leurs exclamations : Sainte Vierge ! nous sommes ruinés ! quel malheur ! nous pouvons bien prendre le bissac !

— C’était bien la peine, criait la vieille de chez Fantou, c’était bien la peine, que je porte sur la pierre de la croix, le jour des Rogations, un gâteau de fine fleur de farine ! de quoi ça nous a-t-il servi ?

Le pauvre Jandillou, le sacristain, était comme les autres, il avait tout perdu, et encore on lui disait des sottises. Comme il passait pour aller voir à sa terre, il y en eut qui lui dirent : — C’est foutu que tes processions et les litanies de ton curé ne valent guère !

Lui s’en allait baissant la tête, ne sachant que dire à ces gens, qui avaient suivi les Rogations et fait des offrandes, pour protéger leurs récoltes, et qui, les