Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/343

Cette page a été validée par deux contributeurs.

vieille Maréchoune alluma un bout de cierge bénit, puis elle alla chercher à la tête de son lit un brin de buis des Rameaux, le trempa dans son bénitier de faïence et aspergea autour de la cuisine. Ni les signes de croix, ni le cierge, ni l’eau bénite, rien n’y fit. Les nuages, poussés par un vent d’enfer, arrivaient se suivant les uns les autres, se pressant, se poussant comme un troupeau de moutons épeurés, et quand ils furent sur nous, voici la grêle qui tombait à grand bruit…

— Pauvres gens ! nous sommes perdus ! s’écrièrent les femmes ; et elles se mirent à pleurer et à se lamenter. La nore de Maréchou, à genoux près du lit, se cachait la figure dans ses mains. Maintenant l’orage était en plein sur le bourg ; la grêle tombait grosse comme des œufs de pigeon, et même plus encore, car on en ramassa qui semblait des œufs de poule. Avec ça drue et serrée, comme qui décharge un tombereau de cailloux. Les tuiles des maisons volaient en morceaux ; les feuilles des arbres tombaient en masse, et disparaissaient emportées par le vent ; en cinq minutes, le grand ormeau de la place fut comme à la Noël, sans parler des branches cassées. Puis la pluie commença à tomber comme qui la vide à seaux. La pièce de blé de Maréchou qu’on voyait par la fenêtre, touchant son jardin, était foulée comme si on y avait fait manœuvrer des escadrons de chevaux. Et la grêle tombait toujours, et dans la terre détrempée maintenant, les grêlons finissaient d’enfoncer les morceaux de paille hachée qu’on voyait encore.

Ça dura un quart d’heure comme ça ; les tuiles cassées laissaient pisser l’eau dans le grenier, qui, par le plancher mal joint, tombait dans la cuisine ; il pleuvait sur les tables, sur les lits, partout, mais on n’y faisait pas attention. Chacun pensait à son blé, à tout son revenu perdu. Les hommes ne disaient