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c’était en 1867. J’étais allé au bourg, le dimanche d’après la Saint-Jean, pour régler un compte avec un menuisier qui nous avait fait du travail ; et comme c’est la coutume chez nous, qu’on ne règle qu’à table, nous devions déjeuner ensemble chez Maréchou. Le temps était vilain ; il faisait une mauvaise chaleur, et sur la place, au sortir de la messe, les gens regardaient en haut, et disaient : pourvu qu’il ne nous fasse pas de coquineries ce temps, ça ira bien. Du côté d’en bas, c’était tout noir, et on entendait le tonnerre au loin, de manière que beaucoup s’en allèrent chez eux, de crainte de l’orage. Mais d’autres entrèrent à l’auberge pour boire une chopine avec des tortillons tout chauds. Lajarthe se trouva là, comme nous entrions, et je le conviai à déjeuner.

Nous nous assîmes à table tranquillement, après avoir regardé le temps, qui avait l’air de s’arranger un peu. Après déjeuner on porta le café ; nous fîmes nos comptes, je payai le menuisier en lui disant : — Nous voilà quittes et bons amis ! à quoi il répondit ; — Oui, et à une autre fois.

À ce moment Lajarthe qui était sorti, rentra et nous dit : — Mes amis, nous sommes foutus ! il y a un grand nuage blanchignard qui vient du côté de Coulaures, en suivant la rivière, et il va nous crever dessus. Il n’avait pas dit ça, que nous sortîmes sur le pas de la porte. On entendait venir l’orage ; les arbres se pliaient et restaient dans cette position, ne pouvant se relever contre le vent ; de tous côtés, les passereaux arrivaient pour se mettre à l’abri dans le clocher, quoique la cloche sonnât à toute volée, brandie par trois ou quatre garçons, pour détourner l’orage, comme c’est de coutume dans nos campagnes. De temps en temps un coup de tonnerre éclatait sec, comme des noix tombant sur le plancher. Il tombait quelques gouttes d’eau, lourdes comme du plomb. À chaque éclair les gens se signaient. La