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et c’est pour ça qu’on voit aux conseils de révision, tant de conscrits chétifs et qui n’ont pas la taille. Le travail des femmes anticipe par là sur les populations à venir ; c’est comme si nous mangions notre blé en herbe. Je le dis comme je le pense, rien que le travail des femmes, ça justifie toutes les jacqueries !

Mais je me suis laissé aller à dire ce que j’ai sur le cœur, comme ça m’arrive souvent, et ça m’a un peu détourné de mon chemin. Ce que j’ai dit du pénible travail de la moisson, est pour faire comprendre combien les gens sont contents quand on finit de moissonner. Le dernier jour on chante plus clair, et hommes et femmes se renvoient plus vivement les chants de la moisson, La Parpaillolo, Lou bouyer de l’aurado, et autres sans lesquels on ne pourrait soutenir ce travail écrasant.

Le jour de la Gerbe-baude on est content, et l’on mange de bonne soupe grasse, et des poulets en fricassée, et de la daube, sans laquelle il n’y a pas de bonne Gerbe-baude ; et aussi on boit de bons coups de vin, pour dédommagement de toute l’eau qu’on a bue en coupant le blé.

Cette première année donc, nous étions allés faire la Gerbe-baude à la Borderie comme j’ai dit, et nous avions déjà fini de dîner, quand notre chambrière, la Fantille, entra portant un panier et des tasses dedans, avec une pinte et du café. Ma femme avait pensé que nos métayers n’en buvaient pas souvent, et elle en envoyait. Tout le monde fut bien content de ça, et on commença bientôt à chanter, chacun à son tour, des chansons patoises. Durant ce temps on buvait, et puis après on versa le café et on fit des brûlots qui faisaient crier d’aise les enfants, contents de voir cette jolie flamme bleue.

Et tous les ans, nous faisions donc comme ça la Gerbe-baude.

Mais il y eut une année où nous ne la fîmes pas :