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pour une femme, c’est de pouvoir faire des enfants robustes et sains, et de les nourrir sans en pâtir. Autrefois, on estimait une femme par ses enfants ; en avoir beaucoup était regardé comme une bénédiction, tandis que la stérilité passait pour une punition d’en haut. Ce qu’on a fait de tout temps chez nous, pour les femmes mules, montre bien comme autrefois on regardait ça. Quand une femme n’avait pas d’enfants, elle allait en pèlerinage à Saint-Léonard, auprès de Saint-Jean-de-Côle, ou à Brantôme, et après la messe et les dévotions, elle se rendait à la porte de l’église et faisait aller le verrou. Après cette cérémonie assez claire, son mari la ramenait chez elle par la main. Mais ces mœurs saines se perdent ; on ne craint plus la stérilité ; il y en a qui la désirent, et qui s’en vantent, comme si ce n’était pas un malheur ou un crime.

Vers ce temps-là, revenant un jour, mon oncle et moi, de la foire des Rois à Périgueux, nous fîmes halte un moment à Coulaures, et le vieux Puyadou nous dit que Jeantain irait un de ces soirs au Frau, pour trouiller, qui vaut autant à dire comme presser l’huile, mais qu’il nous fallait envoyer quérir les nougaillous par Gustou, parce que leur jument était boiteuse. Gustou y fut le surlendemain, et le soir Jeantain vint portant des boudins et des côtelettes de veau. C’est la coutume qu’on trouille aussi de nuit, et alors il faut réveillonner. Ordinairement, mon oncle et moi puis Gustou, nous passions la nuit, chacun notre tour avec les presseurs, qui étaient du bourg, et restaient au moulin dans le temps des trouillaisons. Mais ce diable de Jeantain nous y fit rester tous les deux avec mon oncle, et quand Gustou vit ça, il resta aussi. Ça n’est pas un travail bien propre de faire l’huile ; et de passer la nuit à remuer dans la chaudière les nougaillous déjà écrasés par les meules, ça n’est pas bien amusant non plus, ni de voir faire des serrées.