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cent pas plus loin dans la Vézère, les eaux ne se mêlent pas de suite, et l’on voit cette belle eau bleue le long de l’autre, qui est souvent trouble à cause des ruisseaux du Limousin qui tombent dedans.

Le cousin fut bien content de me voir, et tout le monde chez lui. Le soir en soupant, il me fallut leur conter tout ce qui s’était passé depuis mon mariage, et combien nous avions d’enfants, et comment ils étaient, et tout ceci, et tout ça, de manière qu’il était neuf heures quand nous nous levâmes de table.

En sortant, mon cousin me mena au Café du Commerce, où nous trouvâmes beaucoup de gens de sa connaissance, des ouvriers, des artisans, des marchands, avec lesquels il fallut trinquer.

Il y avait plaisir à être avec eux ; ils étaient intelligents, bons enfants, et en grande partie républicains : mais il n’y a bonne compagnie qu’on ne quitte ; nous fûmes nous coucher vers les onze heures.

Le matin de bonne heure, je partis pour Sarlat, en passant par Lachapelle, Saint-Quentin et Temniac. Le pays n’est pas beau, c’est des bois et des bois, des petites combes avec des mauvais prés dans les fonds, et des rosières qui ne sont bonnes qu’à faire la paillade. Il y a des bois châtaigniers et des taillis, et aussi des jarrissades où on coupe les chênes pour faire le tan. Ce pays n’est pas à comparer avec chez nous. C’est sauvage et noir, et je me figure que dans le temps il ne faisait pas trop bon voyager seul par là, avec de l’argent dans sa poche. Il y a un endroit qu’on appelle à : Prends-toi-Garde, sans doute parce qu’autrefois on y arrêtait les gens. Il y a aussi un autre endroit, dans les taillis, où on attaqua la voiture qui portait l’argent de la taille, de Sarlat à Périgueux. Mais ceux qui firent ce coup n’étaient pas des brigands ordinaires, à ce qu’on dit, mais des nobles qui faisaient la guerre au premier Bonaparte, en lui coupant les vivres. Ça n’était tout de même