Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/300

Cette page a été validée par deux contributeurs.

lou tems, Lou paradis de las Belas-Maïs, Lou chavau de Batistou, et tant d’autres jolies patoiseries que nous autres, paysans, devrions tous avoir dans notre tirette de cabinet. Oui, il y a encore chez nous de bons enfants du Périgord, qui ne méprisent pas la terre natale, et qui ont l’esprit alerte, la tête, le bras et l’estomac solides, toutes qualités qui font le vrai Périgordin, propre à tout, bon à penser et à agir ; seulement la plupart de ceux-là, par leur âge et leurs habitudes, retirent plutôt vers les anciens : les jeunes sont trop parisiens, à mon goût, et ne sentent pas assez le terroir.

Mais me voilà loin de la table où nous étions assis tous les trois. Girou n’avait jamais été à pareille fête : c’était un pauvre garçon, d’une quarantaine d’années, fils de paysans comme nous, tout petit et chétif, l’échine un peu bombée, et noir comme une mûre, ce qui lui faisait dire quelquefois : — Moi, j’étais derrière la haie quand on tirait la couleur sur les merles ! Il avait été instruit au hasard, par un vieux bonhomme qui enseignait à quelques enfants le eu qu’il savait. Il n’était, pour ainsi parler, jamais sorti de Saint-Germain. Trop faible pour travailler la terre ou pour être ouvrier, trop petit pour être soldat, M. Vigier l’avait pris pour clerc, et il vivait là, dans cette petite étude de campagne, attrapant tous les livres qu’il pouvait, pour tâcher d’apprendre quelque chose. C’était un vrai plaisir de le voir manger et boire, tout en causant et disant des histoires plaisantes, car il était malin, et tournait les choses comme il voulait. Il revenait aux plats qui lui convenaient, et le mâtin, quoique paysan, il avait du goût et ne se jetait pas sur les grosses pièces.

Il ne pouvait se rassasier surtout d’une terrine de foies gras aux truffes, ni d’un plat de champignons en sauce, comme jamais plus je n’en ai tâté. On aurait juré, à le voir faire, qu’il n’avait rien mangé