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d’avoir déjà pris peut-être une autre opinion qu’il fallait quitter, mais ils s’efforçaient de n’en laisser rien voir. Quand notre homme eut achevé, le président prit l’acte et se mit à le relire, et pendant ce temps nous autres fûmes à la vieille souche du châtaignier. Partant de là, je comptai quarante-deux pas en suivant tout droit le long de l’ancien chemin, qui marquait quelque peu. Je ne trouvai rien. Je m’écartai sur la droite, puis sur la gauche, rien. Ces Messieurs s’étaient approchés durant ce temps et me regardaient faire. Pensant que j’avais fait les pas trop grands, je reculais un peu, lorsque mon oncle me dit : — Va plutôt en avant, si c’est mon grand-père qui a compté les pas, il avait des jambes comme une grue. J’allai en avant, et après avoir gigogné un petit moment, la pioche rencontra une pierre.

— Tu y es, dit le petit Girou, et en effet, j’y étais. Après avoir nettoyé la place, raclé les feuilles pourries, j’ôtai comme un terreau qui s’était formé dessus, et la borne se vit bien plantée avec ses deux témoins.

Comme on peut bien penser, Pasquetou ne fut pas content ; il vint voir tout près, mais quoi dire ? les racines de bruyères enlevées montraient bien que la borne était là depuis longtemps, quand l’acte ne l’aurait pas dit, et qu’on ne l’y avait pas mise exprès. Mais c’est M. Lacaud qu’il fallait voir ; on aurait dit qu’il allait avoir une attaque, tellement il était cramoisi. Pasquetou, lui, se tenait coi, les mains dans les poches de son sans-culotte, regardant par terre, et suivant ces messieurs de la justice qui s’en allaient.

Au moment où ils partaient, nous autres trois, restés les maîtres sur le terrain, nous leur tirâmes encore trois grands coups de chapeau, en nous gaussant un peu d’eux en dedans, c’est vrai : ils ne firent pas plus attention à notre salut que la première fois, mais ça nous était bien égal.