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par reconnaissance pour celui qui pouvait vous envoyer à Cayenne et ne l’a pas fait.

Mon oncle le regarda de ses yeux clairs qui flambaient, en serrant les poings et les mâchoires ; mais la pensée de Masfrangeas lui vint ; il ne dit rien et s’en alla.

Moi, la colère m’avait monté, et, m’avançant vers ce gros enflé, je lui répondis rudement :

— Vous saurez, qu’on ne doit aucune reconnaissance à celui qui s’est emparé du droit de grâce, parce qu’il n’a pas fait à un citoyen tout le mal qu’il aurait pu lui faire injustement !

M. Lacaud ne s’attendait pas à cette réplique ; il resta tout ébaubi, devint cramoisi, branla la tête d’un air menaçant, mais ne sut que dire.

Je crois que c’est la seule fois de ma vie que j’ai riposté un peu à propos. D’ordinaire j’ai l’esprit lent, et le mot me vient trop tard. Il m’est arrivé plus d’une fois de me dire en m’en allant : Animal ! tu aurais bien pu dire ça ou ça.

Excepté ces paroles avec notre maire, nous restions bien tranquilles chez nous, ne nous mêlant de rien, ni de politique ni des affaires de la commune, et il nous semblait que cela étant ainsi, nous étions à l’abri de tout. Mais quand on a affaire à des mauvais gredins comme Laguyonias, et à des individus méchants et rancuniers comme M. Lacaud, on n’est jamais à l’abri de quelque mauvaise chicane, et nous ne tardâmes guère à nous en apercevoir.

Un jour que j’étais allé avec Gustou couper de la bruyère pour faire paillade à notre bétail, je vis venir un nommé Pasquetou, de Cronarzen, qui avait un bois touchant le nôtre. Quand il fut près de nous, il nous dit, sans tourner autour du pot, que nous coupions la bruyère sur un endroit qui n’était pas nôtre. Moi, c’était la première fois que je le voyais faire, et comme dans nos bois les limites ne marquent pas