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soignée et travaillée ! Nous faisions de bon terreau avec des feuilles pour mettre aux endroits les plus maigres, et tous les ans nous y portions quelques tombereaux de terre pour l’arranger. C’en était risible ; quand nous trouvions par là quelque vieille savate, ou quelque mauvaise peille de drap, nous la portions à la vigne pour l’enterrer au pied d’un cep. Et s’il y en avait quelqu’un de malade nous le déchaussions, et nous y mettions autour du purin de l’étable. C’était bien des soins, mais ils ne nous coûtaient pas : et puis, quand les grappes se gonflaient comme le tétin d’une femme grosse, quel plaisir de les voir profiter, et passer du rouge clair au brun noir et comme velouté !

D’aucunes fois, mon oncle nous laissait, ma femme et moi, deviser et nous promener aux alentours de la maison, et s’en montait dans sa chambre du moulin, lire un de ces vieux livres des grands hommes de l’antiquité. Il disait qu’il y avait de ces vies dont il ne s’était jamais lassé, comme celle de Caton et de Phocion, qu’il préférait à toutes les autres. C’était une chose pas ordinaire, cette lecture, pour un paysan un peu dégrossi seulement par l’école et le régiment. Le hasard avait voulu que ces livres se fussent trouvés dans un tas de vieilleries, achetées par mon grand-père à l’encan, et mon oncle en faisait son profit, et nous tous aussi.

Le 21 novembre de cette année-là, et le 22, on vota chez nous, comme dans toute la France, pour le rétablissement de l’Empire. Au Frau nous nous demandions, mon oncle et moi, comment nous devions faire. Si nous avions été bien libres, nous aurions été mettre un Non dans la boîte de M. Lacaud ; mais, à cause de M. Masfrangeas, il fut convenu que nous ne voterions pas. Lajarthe, qui était venu voir comment nous faisions, fit comme nous, et passa la journée au Frau. Ce qu’il y eut de joli dans notre commune,