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quelque ami à qui nous l’avions faire dire : c’était Lajarthe, ou le fils Roumy, ou Jeantain de chez Puyadou.

Dans l’après-midi du dimanche, je descendais quelquefois jusqu’au bourg, histoire de voir les gens, de parler à des amis, et à l’occasion, nous buvions une bouteille nous deux Roumy.

D’autres fois, avec mon oncle, nous faisions le tour de notre bien, les mains dans les poches de la veste, un brin de marjolaine aux dents, nous arrêtant à chaque pièce, pour voir comment levait le blé, ou si la luzerne naissait bien, ou si le blé rouge s’épiait, ou si les noyers avaient des noix. On n’a pas d’idée du plaisir que nous avons, nous autres paysans, de voir naître, croître et mûrir le grain que nous avons semé ; d’enfoncer nos sabots dans la terre que nous avons tant de fois retournée avec l’araire ; de suivre le champ que nous connaissons sillon par sillon : ici il y a une mouillère ; là, à cette place, on ne peut pas faire perdre le chiendent ; et on se dit : Lorsque nous bladions dans ce fond, il faisait mauvais temps, aussi le blé est plein de coquelicots. Ce plaisir est autre chose que celui du riche, qui visite ses domaines qu’il ne cultive pas. Le plaisir de celui-ci est plein de vanité, et tout à la surface, comme s’il avait une belle femme, pour la vue seulement. Mais pour le paysan : c’est comme un vrai mariage entre la terre et lui ; il la tient, la possède, la tourne, la retourne, la façonne à sa mode, la soigne avec grand amour, et jouit en la voyant fécondée par son travail. Et nos vignes donc ! C’est là que nous nous arrêtions longuement, marchant pas à pas, regardant chaque pied l’un après l’autre, épiant les boutons à leur sortie, les comptant, comptant les formes, faisant des comparaisons d’années. Ah, c’était surtout notre vieille vigne, celle qui nous donnait ce bon vin dont nous ne buvions pas tous les jours ; c’est celle-là qui était bien