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Je me mis à rire, et ma mère dit : — Alors elle a encore le temps de vieillir, ça ne sera pas demain.

— Non, reprit mon oncle, et en ce moment, il pense plutôt à aller voir les baraques ; nous allons y aller, tu vas voir, mon fils.

Nous nous levâmes. Après tous les remerciements et les compliments coutumiers, M. Masfrangeas embrassa ma mère :

— Eh bien, c’est entendu, n’est-ce pas, quand ce garçon reviendra du Frau, vous me l’enverrez : d’ici là, j’aurai arrangé tout cela.

En sortant, nous prîmes par la place de la mairie, parce que mon oncle voulait aller voir de sa jument, et au bout de la rue Saint-Silain, nous voilà descendant la rue Taillefer. Je les regardais aller devant tous deux. M. Masfrangeas avait une grande lévite bleu foncé, un pantalon gris et un chapeau de même couleur à longs poils. Avec ça une cravate haute, et un gilet à fleurs, sur lequel battaient les breloques de sa montre. Il représentait bien ainsi le petit bourgeois cossu de l’époque.

Mon oncle, lui, était habillé en meunier, de drap blanc en entier ; veste dite : sans-culotte, gilet boutonné carrément, avec deux rangées de boutons de cuivre poli, culotte à pont-levis ; tout cela était blanc, et le chapeau de feutre ras était blanc aussi. C’était un vrai chapeau périgordin, à larges bords, à calotte ronde, comme on n’en fait plus guère ; les meuniers d’à présent suivent la mode. La seule chose qui ne fut pas blanche dans l’habillement de mon oncle, c’était une cravate de soie noire, nouée tout bonnement, et sur laquelle se rabattait le bord-de-cou de sa chemise en bonne toile de ménage.

Ces deux bons amis avaient bu, à eux deux, six ou sept bouteilles, puis le café, des glorias, de l’eau-de-vie, et ils s’en allaient tranquilles, la tête froide et