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dessus ; mais ce ne fut pas sans peine. Ma femme se remit aussi, mais elle était bien triste, et ne mangeait quasi pas, en voyant au bout de la table la place vide du pauvre oncle. Quelques jours se passèrent, et nous nous inquiétions de ne rien savoir, lorsque Brizon m’apporta une lettre de M. Masfrangeas qui me mandait qu’il avait vu mon oncle ; qu’il n’était point malade, et que à part qu’il s’ennuyait de nous, il était aussi bien que possible. Il ajoutait qu’il avait bon espoir de le tirer de là, puisqu’on n’avait rien trouvé au Frau en fait de papiers dangereux. À la vérité, il y avait des dénonciations contre lui, et tous les rapports du maire et des gendarmes le chargeaient fort d’être un de ceux qui prêchaient les paysans, un rouge dangereux. Mais il avait plaidé le contraire, disant que des dénonciations comme celles d’un Laguyonias ne pouvaient pas nuire à un honnête homme, et que quant aux rapports du maire, il y avait entre M. Lacaud et lui une vieille haine qui les rendait suspects. En finale, M. Masfrangeas nous admonestait de prendre courage, et de ne pas nous chagriner plus que de raison.

La demoiselle Ponsie était toute malheureuse de savoir mon oncle en prison. Elle n’entendait pas la politique, la pauvre, et elle ne comprenait pas comment on pouvait enfermer un si brave homme ; tous les jours elle descendait voir si on l’avait lâché.

Un qui était comme fou de ça, c’était le pauvre Lajarthe. — Si encore, disait-il, on m’avait pris, moi qui n’ai pas de maison à faire aller, point de famille, rien, ça ne serait pas une affaire ; mais aller mettre en prison la crème des hommes ! qui a rendu plus de services autour de lui que Bonaparte n’a fait de mal, et ça n’est pas peu dire ! Quel tas de canailles ! Mais on n’avait pas mis Lajarthe dedans, ça n’aurait pas produit assez d’effet dans le pays, un pauvre diable de tailleur à la journée, ne sachant guère parler