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yeux gris-bleu. Tandis que M. Masfrangeas était entièrement rasé, manque deux petits favoris qui ne dépassaient pas les oreilles, lui avait rapporté des chasseurs d’Afrique une barbe noire et frisée qui allait bien à sa figure hâlée. Sur son front carré ses cheveux coupés ras faisaient des pointes régulières. Mes yeux allaient de l’un à l’autre ; il me tardait qu’ils eussent fini, pour aller voir les baraques de la foire.

Mais ma mère arriva avec une toupine de prunes :

— Ce sont des prunes du Frau, c’est moi qui les ai faites ; vous allez bien en tâter, monsieur Masfrangeas.

— Pour sûr, j’en goûterai avec plaisir pour cette double raison.

Et nous prîmes une prune.

Je pensais que c’était fini ; mais mon oncle allongeant le bras vers le cabinet me dit :

— Porte cette petite roquille, Hélie.

— Qu’est-ce que tu veux me faire boire encore ? dit M. Masfrangeas.

— Ça, dit mon oncle, en prenant la petite bouteille, c’est de l’eau-de-vie faite par mon grand-père, en l’an onze.

— Bigre ! fit M. Masfrangeas.

— Ça fait, reprit mon oncle, qu’elle a ses quarante et un ans. Après ça, si tu as peur qu’elle te fasse mal ? ajouta-t-il en goguenardant.

— Les bonnes choses ne font jamais mal, dit M. Masfrangeas en tendant sa tasse après l’avoir bien rincée.

Cette vénérable eau-de-vie fut bue avec recueillement, et M. Masfrangeas exprima ainsi sa façon de penser :

— On devrait se mettre à genoux pour boire cela !

— Malheureusement, il n’en reste plus que deux ou trois pintes, ce sera pour quand Hélie se mariera.