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qu’ils n’avaient pas osé faire devant les forgerons. L’un d’eux prit une chaîne dans ses fontes et dit à mon oncle :

— Donnez vos mains !

— Comment ! dit mon oncle, vos camarades ne m’ont pas attaché ; je vous promets de vous suivre tranquillement.

Et j’appuyai de mon côté : — Ne craignez rien, il ne se sauvera pas.

— Avec ça, dit celui qui tenait la chaîne, que ça vaut quelque chose, la parole d’un rouge. Quand on a affaire à des gens comme ça, il faut prendre ses précautions. Allons ! donnez les mains ! et en même temps ils les prirent brutalement, et cadenassèrent chaque poignet.

Mon oncle devint pâle et me regarda, et nos yeux se parlèrent :

— Ha ! brigand de Bonaparte !

Les gendarmes remontés à cheval nous nous remîmes en route. — Avec ces petits bracelets, dit l’un, nous sommes sûrs de notre démoc-soc ; ça serait dommage de l’échapper, vu qu’on va le fusiller, ou tout au moins l’envoyer crever à Cayenne.

— C’est comme ça, répondait l’autre, qu’on devrait faire à toute cette crapule, qui ne veut que sang et pillage ; à tous ces meurt-de-faim de partageux.

Et tout le temps ce n’était que des paroles comme ça, ignobles, et des propos dégoûtants. On voyait bien qu’on avait monté la tête de ces gens-là, car ordinairement ils emmènent sans mot dire les plus grands coquins comme Delcouderc. Moi je n’avais rien dit depuis que nous avions quitté Savignac, mais la colère me monta à la figure : — Ah ça ! leur criai-je, vous êtes chargés de conduire le prisonnier, et non pas de l’insulter ! C’est brave, à vous autres, d’agoniser de sottises un homme qui a les deux mains attachées !

Ils se retournèrent sur leur selle :