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non, et je sus, après, que l’un des gendarmes, avant de monter à cheval au départ, avait tiré ses chaînes. Mais mon oncle l’avait regardé dans les yeux et lui avait dit : — Est-ce que vous voulez attacher comme un voleur un ancien maréchal des logis de chasseurs d’Afrique qui est innocent de tout crime ? Je vous promets de ne pas chercher à me sauver.

Le plus jeune qui avait la chaîne, un Corse méchant, voulait l’attacher quand même, mais l’autre, un vieux brisquard qui avait femme et enfants, et n’était pas mauvais diable au fond, dit à son camarade :

— Je le connais, il ne se sauvera pas, laissons-le libre.

Lorsque je les eus rejoints, je descendis menant la jument par la bride, et mon oncle me dit : — Hé bien et Nancy ? et le drole ?

— Elle est mieux maintenant, et le petit dort.

Quand nous fûmes à Coulaures, les gens furent bien étonnés de voir le meunier du Frau entre deux gendarmes, et tout de suite ils se doutèrent de quoi il retournait, sachant bien que Sicaire Nogaret ne pouvait être arrêté pour aucune mauvaise action. Malgré ça, c’est triste à dire, il y eut de nos connaissances qui nous laissèrent passer sans nous parler, et d’autres rentrèrent chez eux, honteux de ne pas seulement dire bonjour au prisonnier, et n’osant le faire, crainte de se compromettre. Mais les Puyadou ne firent pas ainsi ; ils vinrent au milieu de la route lui toucher de main, et la petite vieille l’embrassa, en criant tout haut et clair : — Si on met les braves gens en prison, qu’est-ce donc que ceux-là qui les y font mettre ?

Là-dessus, le Corse dit :

— Allons ! allons ! marchons ! et nous repartîmes.

Le long de la grande route, les gens nous regardaient passer, et ne disaient rien, tout épeurés. À Savignac, ce fut comme à Coulaures : les uns nous