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secoué par M. Silain. La grande Mïette, ne sachant point ce que c’était que ce papier, sinon qu’il était pour son Monsieur, le lui avait porté. Tandis qu’il le lit, voilà M. Silain qui devient cramoisi, puis violet ; il veut se lever, retombe sur son fauteuil, en essayant d’arracher sa cravate, fait quelques mouvements des bras, des jambes, ouvre la bouche et puis ne bouge plus.

Le papier était encore là sur la table ; c’était un commandement que faisait donner Merlhiat en vertu d’une grosse, d’avoir à payer de suite quatre mille cinq cents francs, plus des intérêts et des frais, faute de quoi, etc. : saisie, vente et tout ce qui s’ensuit.

Il fallut envoyer des messagers, pour prévenir les amis de la famille et les messieurs d’alentour. De parents, il n’y en avait pas dans le pays. Le métayer partit d’un côté, et nous autres, revenus au Frau, nous envoyâmes Gustou de l’autre. Mon oncle alla faire la déclaration chez Migot, et puis après avertit le curé, et lui demanda l’enterrement pour le surlendemain onze heures.

Il ne manqua pas de monde ce jour-là. Tous les nobles des châteaux de par là, et il y en a quelques-uns, étaient venus, et les bourgeois aussi, et quelques paysans, de proches voisins comme nous autres. Il avait neigé quelque peu, et la terre était toute blanche, comme le drap qui couvrait la caisse. Cette neige faisait que les porteurs se fatiguaient vite, sans compter la pesanteur, et il fallait souvent les changer. Le curé était venu faire la levée du corps au château, et il pouvait bien faire ça pour M. Silain, qui lui avait fait manger tant de lièvres en royale, dont il était si friand.

Jeandillou marchait devant, portant la croix ; puis le petit de chez Rabier suivait, habillé en enfant de chœur, avec un pantalon tout braudeux qui dépassait, et de gros souliers. Ensuite venait le curé Pinot en