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de la tour, car il était grand et lourd, M. Silain. Après qu’il fut étendu sur son lit, il fallut se dépêcher de l’habiller avant qu’il fût tout à fait froid. La demoiselle, toujours gémissant, alla chercher les meilleurs habits de son père, ceux-là qu’il mettait pour aller à Limoges aux foires de la Saint-Loup, et à Périgueux au grand Cercle, et on les lui mit pour son dernier voyage, après lui avoir ôté ceux qu’il avait. C’était triste à voir, quoiqu’on ne l’aimât pas M. Silain, ce grand cadavre qu’il fallait remuer, soulever, et qui se laissait faire comme un petit enfant qu’on maillote. Où ce fut le plus malaisé, ce fut pour lui ôter ses bottes, il fallut le tenir sous les bras, par la tête du lit, tandis que la grande Mïette les lui tirait à grand’peine.

Quand ce fut fait, qu’il fut habillé, la demoiselle alluma deux bouts de cierges, et la Mïette ayant étendu une serviette sur une petite table auprès du lit, mit dessus de l’eau bénite dans une assiette, avec un petit brin de buis du jour des Rameaux, et en jeta quelques gouttes dessus le corps, après la demoiselle.

Cela fait, nous descendîmes, et la grande Mïette nous raconta comment c’était arrivé. Le Monsieur était revenu tard de la chasse, il était une heure, ayant chaud, et il s’était tourné vers le feu dans la cuisine pour manger sa soupe, et avait fait un bon chabrol. Puis après il était passé dans le salon à manger pour déjeuner. Il avait mangé une grosse omelette aux pommes de terre, un reste de civet de la veille, et approchant la moitié d’un piot qu’on avait fait rôtir : avec ça il avait bu, bien deux bouteilles de vin, en sorte qu’il était rouge comme la crête d’un coq. Tandis qu’il se taillait un petit bout de bois pour s’écurer les dents, Laguyonias était venu, avait remis à la cuisine un papier timbré, et était reparti bien vite, parce qu’une fois il avait été un peu