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lever, et après cinq ou six jours elle avait repris son train d’habitude.

Lajarthe vint le dimanche suivant, et nous fit compliment à ma femme et à moi : — Il faudra en faire un bon citoyen de ce petit, qu’il nous dit, parce que les bons citoyens sont rares.

Il resta à souper le soir avec nous, et il nous conta qu’il était allé le matin jusqu’à Coulaures, et qu’il avait ouï lire un journal, où il était question des voyages du président de la République, dans la Bourgogne, à Lyon et dans l’Est de la France.

— C’est fini, dit-il, nous allons avoir l’Empire. L’autre jour, à une revue, les soldats qu’on avait saoûlés ont crié : Vive l’empereur ! Les nobles, les bourgeois, les curés, les riches, les gens en place, tous conspirent à ça. Pourvu qu’en finale le neveu ne nous ramène pas les Russes et les Prussiens comme son oncle, ça ira bien. Ça, c’était toujours son refrain, de ce pauvre Lajarthe, parce que c’était un homme de l’espèce de ceux de 1792, qui aimait fort son pays.

— C’est triste, disait mon oncle, mais c’est comme ça, l’Empire se fait comme tu dis. Il y aura peut-être bien au dernier moment des gens qui se lèveront, par-ci, par-là, mais la France ne bougera pas. Moi, tant que je pourrai, je tâcherai d’en détourner, quand ça ne serait qu’un ; mais nos pauvres gens ont l’esprit tellement tourneboulé par le nom de Napoléon, que c’est à rien faire.

— Jusqu’à M. Silain, qui s’en mêle, dit Lajarthe. De tout temps la maison de Puygolfier a été pour le roi, et maintenant pour Henri V, comme ils disent ; mais il paraît que M. Silain a un peu tourné sa veste, et qu’il s’arrangerait d’un empereur.

— Il ferait mieux de s’occuper de ses affaires, répondit mon oncle ; l’empereur ne lui payera pas ce qu’il doit.